Réforme de la fonction publique - Interview de M. Franck SAJET

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La loi du 6 août 2019 dite de "transformation de la fonction publique" engage une réforme d'ampleur du secteur. À ce titre, une cinquantaine de décrets et plusieurs ordonnances sont encore attendues. Recours accru aux contractuels, redéfinition des conditions de travail, évolutions du dialogue social, développement des leviers managériaux, encadrement du droit de grève, renforcement de l'égalité professionnelle, réforme de la procédure disciplinaire, etc... Autant de changements qui annoncent la fonction publique de demain et qu'il est important pour les professionnels concernés de mesurer dès aujourd'hui.

Découvrez l'interview de notre intervenant M. Franck SAJET, 

Juriste de droit public, expert auprès de nombreuses collectivités depuis 25 ans et chargé d'enseignements à l'université

 

1. La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a pour objectif de « moderniser le statut et les conditions de travail dans la fonction publique ». Pensez-vous que cette loi va permettre de répondre à un tel objectif ?

Le terme « moderniser » induit un jugement de valeur que je me garde bien de prononcer. Certains éléments fondamentaux du statut sont modifiés avec plus ou moins d’ampleur. Le recrutement est particulièrement visé avec le développement des contrats. Il est, tout de même, indiscutable que certaines dispositions s’avèrent indispensables car liées aux évolutions sociales et sociétales. Qui pourrait s’opposer aux avancées liées à l’égalité des sexes, à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ou au plus grand respect de la déontologie ? Certaines conditions de travail sont assouplies comme par exemple celles concernant le télétravail ou celles relatives au nouveau droit d’allaitement. Plus généralement, cette loi s’inscrit dans le cadre du développement du « soft law » ou « droit souple » qui permet aux employeurs publics de disposer de plus de pouvoir discrétionnaire. Par exemple, l’employeur public n’est plus contraint de stagiairiser un agent contractuel qui est inscrit sur une liste d’aptitude après avoir réussi un concours. Mais, discrétionnaire ne veut pas dire arbitraire et « droit souple » signifie toujours « cadre normatif ».

 

2. Dans son article intitulé « Réforme de la fonction publique : bonne année ! »  Charles Fortier, Professeur de droit public, affirme qu’« il serait temps de sortir de ces usines à gaz qui interdisent toute évolution de la fonction publique vers une gestion moderne, et de rompre avec ces « états » professionnels directement hérités de l'Ancien Régime. » Pensez-vous qu’il soit nécessaire de complètement rompre avec le statut des emplois la fonction publique afin de pouvoir poursuivre et atteindre les objectifs de la réforme ? En outre, le contrat de travail ainsi que les conventions collectives sauront t’ils pallier l’abandon de ce statut ?

Je ne crois pas qu’on puisse parler de « rupture » avec les grands principes applicables depuis les lois des années 80. Un tel axiome me paraît trop brutal. Le secteur public n’a pas les mêmes objectifs que le secteur privé et les agents publics gardent certaines spécificités par rapport aux salariés privés. Il s’agit simplement de faire évoluer la loi en tenant compte des réalités actuelles. L’exemple du nouvel encadrement du droit de grève me paraît ici très parlant. Une période de douze mois de négociation s’est ouverte afin qu’un service minimum puisse se mettre en place dans des services de proximité aussi prégnants que l’accueil des jeunes enfants de moins de trois ans ou que l’aide aux personnes âgées et handicapées. Le principe de continuité, à valeur constitutionnelle, et celui du bon fonctionnement du service devraient ainsi mieux se concilier avec l’exercice du droit de grève dans ces activités afin de répondre mieux aux attentes des usagers. Ce n’est pas un « abandon » ou une « négation » d’un droit fondamental, mais plutôt une adaptation, une nouvelle interprétation à l’aune des nécessités de chaque collectivité. Les négociations pourront déboucher sur une mise en place d’un service minimum bien adapté à la demande et à la réalité de terrain. C’est une approche plus pragmatique. La mise en place d’un véritable droit à la différenciation en matière de ressources humaines. Ce n’est que le commencement de l’application de ce nouveau paradigme.

 

3. Le 1er août dernier 2019, le Conseil constitutionnel a validé la loi de transformation de la fonction publique. Il admet notamment que le législateur puisse permettre de recourir à davantage de contractuels en matière d’emploi du secteur public, d’encadrer plus amplement le droit de grève et d’instaurer une instance unique de dialogue social avec « le comité social d’administration » à la place des comités techniques et d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Comment appréhendez-vous ces bouleversements et de quelle manière peuvent-ils impacter la pratique des professionnels de la matière ?

Le Conseil constitutionnel dit que les dispositions législatives ne sont pas contraires au bloc de constitutionalité, aux principes à valeur constitutionnelle. Ce qui signifie qu’aucun droit fondamental n’est touché. Adapter ne veut pas forcément dire maltraiter. Ainsi, la fusion des comités techniques et des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en comités sociaux territoriaux ne remet nullement en cause le principe de participation des agents qui veut qu’ils soient associés aux décisions qui les concernent. Simplement, cela permet d’être plus efficient et rapide. C’est aussi dans ces perspectives qu’ont été allégées les missions des commissions administratives paritaires et unifiées les commissions consultatives paritaires. Certes, il y aura moins d’élus syndicaux, mais ils pourront se focaliser sur des dossiers fondamentaux et être mieux opérationnels. L’intensité du dialogue social varie en fonction des employeurs publics. L’ergonomie des organes a été amendée. Mais, chacun garde son approche personnelle du dialogue social qui peut s’avérer tout aussi constructif qu’avant, voir même meilleur.

 

4. A qui s’adressent vos interventions et quels sont les bénéfices concrets que le public visé peut retirer de cette formation d’actualité dédiée à la transformation de la fonction publique?

Cette action de formation s’adresse à tous les agents publics quelque soit leur filière, leur grade ou leur fonction. La réforme est d’une très grande ampleur. La loi contient plus de 90 articles. On attend 8 ordonnances et plus de 50 décrets. Tous les agents sont concernés aussi bien les A, les B que les C. C’est une transformation très transversale. Mon ambition est de réaliser un panorama très complet des nouveautés normatives en ayant une approche très concrète des questions posées. Il s’agit aussi de comprendre les raisons d’un tel mouvement de fond et les perspectives qui peuvent en découler à moyen et long termes. Est-ce le début de la fin du statut ? ou la faim de nouvelles mobilités ? Toutes les interprétations sont possibles. Il faut ouvrir le débat.

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